TD n°2 et 3 : Le syntagme nominal

  1. Identifiez les groupes nominaux dans le texte suivant
  2. Précisez leur position syntaxique.
  3. Encadrez pour chaque groupe nominal le groupe nominal minimal
  4. Indiquez la nature des expansions du GN minimal.

Blonds comme le règne de l'étreinte, les cheveux se dissolvaient donc dans la boutique du passage, et moi je me laissais mourir depuis un quart d’heure environ. Il me semblait que j'aurais pu passer ma vie non loin de cet essaim de guêpes, non loin de ce fleuve de lueurs. Dans ce lieu sous-marin, comment ne pas penser à ces héroïnes de cinéma qui, à la recherche d'une bague perdue, enferment, dans un scaphandre toute leur Amérique nacrée? Cette chevelure déployée avait la pâleur électrique des orages, l’embu d'une respiration sur le métal. Une sorte de bête lasse qui somnole en voiture. On s'étonnait qu'elle ne fit pas plus de bruit que des pieds déchaussés sur le tapis. Qu'y a-t-il de plus blond que la mousse? J'ai souvent cru voir du champagne sur le sol des forêts. Et les girolles ! Les oronges ! Les lièvres qui fuient! Le cerne des ongles! Le cœur du bois! La couleur rose! Le sang des plantes ! Les yeux des biches! La mémoire : la mémoire est blonde vraiment. A ses confins, là où le souvenir se marie au mensonge, les jolies grappes de clarté ! La chevelure morte eut tout à coup un reflet de porto: le coiffeur commençait les ondulations Marcel.

En liberté dans le magasin, de grands fauves modernes guettaient la femelle d’homme en proie au petit fer : le séchoir mécanique avec son cou de serpent, le tube à rayons violets dont les yeux sont si doux, le fumigateur à l'haleine d'été, tous les instruments sournois et prêts à mordre, tous les esclaves d'acier qui se révolteront un beau jour.

Louis Aragon, Le Paysan de Paris, 1926, Gallimard, Folio, p. 52-53

Approche stylistique

Repérer dans le texte les éléments caractérisants. Quel est leur rôle ?

(Les prédéterminants ont-ils une valeur caractérisante ? Les éléments caractérisants sont-ils très nombreux par rapport à la base thématique ? Les phrases sont-elles segmentées par insertion de groupes apposés, antéposition de groupes compléments ? Quelles figures de style sont notables ?)

En quoi la présence des GN est-elle ici caractéristique de la description ?

Effectuez la classification sémantique des substantifs du texte.

[Blonds comme le règne (de l'étreinte), les cheveux] se dissolvaient donc [dans la boutique (du passage)], et moi je me laissais mourir [depuis un quart d'heure environ]. Il me semblait que j'aurais pu passer [ma vie] [non loin de cet essaim (de guêpes)], [non loin de ce fleuve (de lueurs)]. [Dans ce lieu (sous-marin)], comment ne pas penser [à ces héroïnes (de cinéma) {qui, à la recherche (d'une bague perdue)), enferment, [dans un scaphandre] [toute leur Amérique nacrée]}? [Cette chevelure déployée] avait [la pâleur électrique (des orages)], l’embu (d'une respiration (sur le métal)). [Une sorte de bête lasse {qui somnole (en voiture)}]. On s'étonnait qu'elle ne fit pas plus de bruit que (des pieds déchaussés (sur le tapis)) = complément du comparatif. Qu'y a-t-il de plus blond que (la mousse)? J'ai souvent cru voir du champagne (sur le sol (des forêts)). Et les girolles ! Les oronges ! {Les lièvres qui fuient}! Le cerne (des ongles)! Le cœur (du bois)! La couleur rose (adj.)! Le sang des plantes ! Les yeux des biches! La mémoire : la mémoire est blonde vraiment. [A ses confins], là où le souvenir se marie au mensonge, les jolies grappes de clarté ! La chevelure morte eut tout à coup un reflet de porto: le coiffeur commençait les ondulations Marcel.

En liberté dans le magasin, de grands fauves modernes guettaient la femelle d’homme (en proie (au petit fer)) : le séchoir mécanique avec son cou de serpent, le tube à rayons violets {dont les yeux sont si doux}, le fumigateur à l'haleine d'été, tous les instruments sournois et prêts à mordre, tous les esclaves d'acier qui se révolteront un beau jour.

 

Classez sémantiquement les substantifs du texte

Problème de classement pour les noms abstraits, car pb de définition ; trois types de définitions, qui peuvent amener à des classements contradictoires

Est concret :

  1. ce qui renvoie à un être vivant, à un objet réel, ou une matière
  2. ce qui renvoie à une représentation sensible
  3. ce qui existe ou se subsiste par soi-même ; est référentiellement autonome.

Donc est abstrait

  1. ce qui ne renvoie ni à un être vivant, ni à un objet réel, ni à une matière
  2. ce qui ne renvoie pas à une représentation sensible ;
  3. ce dont l’existence est subordonnée à celle de son support.

Ainsi, " une odeur " dans " une odeur de chocolat ", selon la définition 2 peut être défini comme concret car perceptible par un des cinq sens ; mais selon la définition 3 comme abstrait puisque non autonome de la matière chocolat en train de cuire quelque part.

Dans notre classement, un certain nombre de noms peuvent poser pb (clarté, bruit, haleine, …)

propre

commun

abstrait

concret

inanimé

animé

animal

Humain

Amérique

règne

étreinte

vie

pâleur

respiration

bruit

mémoire

souvenir

mensonge

clarté

reflet

ondulations

liberté

 

Monde moderne/

civilisation :

boutique

passage

cinéma

bague

voiture

magasin

fer

séchoir

tube

rayons

fumigateur

instruments

acier

scaphandre

métal

Nature :

été

fleuve

lueurs

orages

tapis

mousse

champagne

sol

forêt

girolles

oronges

bois

couleur

plantes

grappes

porto

Parties du corps humain :

essaim de guêpes

bête

lièvres

biches

fauves

femelle

serpent

proie

Coiffeur

homme

esclaves

héroïnes

Parties du corps humain :

(inanimé en fait)

cheveux

chevelure

pieds

cerne

ongles

cœur

sang

yeux

yeux

haleine

 

L’essentiel de notre corpus est constitué de noms inanimés, que l’on peut classer en trois catégories :

Ce qui nous permet de constater

  1. la vision morcelante – synecdochique - qu’a le narrateur de cet univers ; on retrouve cette perception des choses dans la periode cubiste de certains peintres (Braque, Picasso…)
  2. L’homme n’y est sollicité que pour son caractère emblématique.
  3. que c’est à l’animation de l’inanimé que sert le recours à la nature

les figures de style jouent un rôle essentiel dans cette entreprise de construction d’une véritable mythologie du monde moderne, à partir du quotidien .

2) Eléments de stylistique pour le corrigé

La caractérisation est tout ce qui dépasse le purement informatif ; sont caractérisants tous les groupes qui ne sont pas nécessaires à la complétude syntaxique et informative du discours i.e. tous les compléments non essentiels.

Attention, il arrive toutefois que la caractérisation d’un objet en permette l’identification : quand je dis : c’est le cheval noir qui a gagné, la caractérisation de cheval par noir contribue à la détermination.

  1. Caractérisation spécifique

? (1) ces adj. viennent soit caractériser des espaces ou induire une perception spatiale ; un espace caractérisé par sa profondeur, son éclat, son immensité ; on a ici une antithèse ( = opposition d’idées) entre la clôture initiale du lieu (la boutique se trouve dans un passage couvert qu’il compare à un aquarium // " scaphandre " dans la mer) et l’ouverture des espaces suggérée (Amérique nacrée, mer). Esthétique surréaliste : pour Aragon, il y a des lieux du quotidien qui sont des " serrures sur l’infini " (Paysan, Folio, p. 20)

→ (2) soit la chevelure animalisée, animée.

→ associent lumière, modernité et animalité ; donc des champs assez contradictoires (antithèse) ; on peut même parler d’associations oxymoriques (fleuve de lueurs ici associe eau et lumière par exemple), l’oxymore étant le rapprochement de deux mots en apparence contradictoires par dépendance syntaxique.

→ animalisent, personnifient, humanisent tout ce qui a priori est " mort " : c’est la poétique surréaliste de réinvestissement de l’objet quotidien pour en faire du " merveilleux quotidien ".

Þ Qu’apportent ces caractérisants d’une manière générale ? précision pittoresque qui entoure et accompagne l’objet du discours, ajout de détails précisants, étoffement du discours descriptif ; ici, cohabitation de deux univers antithétiques : moderne et naturel ; conceptuel et concret, où se cotoient le fini et l’infini, le clos et l’ouvert qui définissent le surréalisme.

  1. Caractérisation générale :

On ne peut s’empêcher à cet égard de noter le parallèle entre " chevelure déployée " et le déploiement même du fil du texte, débridé, qui prend une ampleur considérable lorsqu’en " liberté " lui aussi, hors des entraves et des conventions du réalisme.

  La description :